Carnet 48

Un carnet, des histoires

Noël 2024/2025 et des changements à venir
Séance photo boudoir sensuel et érotique à offrir à Noël

Carnet n°48 – Barcelone

Elle s’appelle Lúa.

Un prénom qui glisse entre les dents comme un secret.

Elle vit à Barcelone, dans un appart au-dessus d’un bar gay qui crie la nuit et sent le sexe le jour.

Son appart est un foutoir de fin de fête : culottes sèches sur le dossier du canapé, cendrier plein à côté de la cafetière, sextoys en vrac dans une boîte Hello Kitty.

Elle a des vinyles au mur, une chatte tatouée sur la hanche, et un carnet en cuir où elle dessine les hommes.

Elle y dessine tout.

Pas les prénoms.

Les bites. Les baisers. Les positions.

Les moments.

Juste après. Parfois même pendant.

Elle swipe. Elle baise. Elle dessine.

Chaque plan est une page.

Chaque page est une empreinte.

Elle ne fait pas ça pour se souvenir. Elle fait ça pour figer ce qui disparaît.

C’est comme ça qu’elle m’écrit.

Pour poser.

Elle a trouvé Blueberry Corner à 2h du matin, juste après avoir joui seule, éclairée par la lumière bleue de son téléphone.

“Je veux une séance. Je veux me voir de l’extérieur.”

Je réponds. On cale une date. Je prends mes billets.


La séance

Je monte quatre étages dans le Raval. Il fait déjà chaud.

Elle m’ouvre en t-shirt coupé et culotte fluo.

Elle me dit juste : “Tu veux un café ?”

Je dis oui.

Elle disparaît. Je m’installe.

Lúa ne pose pas. Elle vit.

Elle fume sur le rebord de la fenêtre, une jambe pliée, l’autre nue.

Elle me regarde par-dessus son épaule, sans sourire.

Elle s’allonge. Elle écarte. Elle se retourne. Elle s’habille. Elle se déshabille.

Je shoote. Je suis. J’absorbe. Je respire moins fort.

Elle me parle entre deux déclenchements.

Elle me parle d’un homme qu’elle a aimé. D’un autre qu’elle a giflé. D’un qui pleurait en venant.

Je garde les images. Et les silences.

À un moment, elle se lève et sort de la pièce.

Elle revient avec son carnet.

Elle s’assoit jambes croisées, nue, le carnet sur les cuisses.

Elle me le montre.

Page 12 : Un trait noir. Un sexe qui bande à l’horizontale. Deux gouttes.

Page 33 : Un torse musclé, griffé. Des mots griffonnés : “il m’appelait maman”

Page 47 : Deux sexes côte à côte. Deux prénoms barrés. Une position floue. Une bouche qui déborde.

“Tu veux voir la page 48 ?”

Je souris.

Elle tourne lentement.

Rien. Page blanche.

“C’est pour toi.”

Et elle ajoute, en dessinant un trait au crayon noir :

“Pas pour ce que tu vois. Pour comment tu graves mon images.”

Et elle éclate de rire.

Je ris aussi. C’est elle qui mène. Toujours.


Après la séance

Je m’apprête à ranger mon matos, mais elle me dit :

“Attends.”

Elle disparaît dans la pièce d’à côté, revient en robe noire, nue dessous.

Pas pour être prise en photo. Pas pour jouer. Juste parce qu’elle se sent bien.

Je ressors l’appareil.

Et là, sans mise en scène, sans directive, je fais peut-être les plus beaux portraits de ma vie.

Elle s’assoit sur le bord du lit.

Elle fume, elle boit, elle pense à autre chose.

Elle est là, vraiment là.

Et moi je shoote, sans chercher l’angle, sans penser au cadrage.

Juste pour garder ça.


On boit un verre.

Comme deux gens qui se comprennent.

Elle est toujours en robe noire, sans soutien-gorge.

Elle se sert un mezcal, me parle d’un certain Joaquín.

Un Argentin rencontré dans un sauna, trois jours plus tôt.

Il l’avait regardée sans rien dire. Ils s’étaient suivis.

“Il m’a prise contre une porte. J’ai pas joui, mais j’ai senti la foudre me traverser.”

Je la regarde.

Et c’est là que je comprends :

je suis déjà sur sa page 48.

En tant que témoin. Œil. Photographe. Intrus volontaire.


La suite

Elle m’écrit le lendemain, juste après mon retour.

“Il est revenu. Je l’ai baisé pour de vrai cette fois. J’ai joui fort. Je lui ai parlé de la séance. Il a voulu voir les photos. J’ai dit non. Elles sont à moi.”

Puis une autre ligne, juste en dessous.

“Je te raconterai. Mais tu ne pourras pas shooter ça.”


Épilogue

Deux semaines plus tard, je reçois une photo.

Une page de carnet.

Un dessin flou.

Un corps pris à revers.

Deux mains accrochées à des draps.

Et un petit mot écrit en bas, au feutre noir :

“Joaquín. 48 bis.”

Carnet 48